Paris : F. Savy, 1864.
Description : pages 589-595.
Subject : Medical photography.
Index medicus : 10800031250, 20801231230.
In the following whole chapter extract from La folie devant les tribunaux, Legrand du Saulle makes several interesting observations. He anticipates the use of photography by the justice system, he also believed that photographs could provide valuable documentation of the progress of a psychosis. Legrand du Saulle also thought that photographs could replace instruments for measuring cranial capacity. Of value to the medical photography historian are his references to the work of Combes and Cayre at the Rodez asylum and his references to the misuse of clinical photographs by pornographers.
CHAPITRE XVII
Les conquêtes de l'industrie et des arts sont éminemment susceptibles de se prêter à des besoins de l'ordre le plus inattendu. La clinique cherche partout des éléments et elle s'assimile rapidement ceux qu'elle peut emprunter à des découvertes étrangères en apparence à l'art de guérir. Un malade frappé aujourd'hui d'un accès de manie aiguë, sera complètement guéri dans un ou deux mois; au sortir de l'asile,quelques notes rappelleront peut-être les particularités de son délire, mais rien ne gravera dans l'esprit du médecin la diversité des expressions pathologiques de la face et ne lui replacera devant les yeux limage des traits normaux avant ou après la guérison.
Esquirol, dans l’Atlas qui accompagne son ouvrage, nousa transmis des dessins représentant quelques types assez curieux. Il attachait une si grande importance à l'ètude du masque des aliénés, qu’il avait fait prendre, plus de deux cents portraits; mais la mort est venue le surprendre au moment où il comptait donner suite à ses observations. Guislain, secondé par des aptitudes artistiques peu communes, a dessiné lui-même plusieurs portraits, et a particulièrement insisté sur les rapides modifications du visage dans la folie. M. Baillarger, depuis une quinzaine d’années, a fait reproduire par le daguerréotype un certain nombre d’idiots, de goîtreux et de crétins. M. Morel, d'abord dans ses Études cliniques, puis dans son excellent Traite des dégénérescences, n'a pas nègligé ce point de symptomatologie psychiatrique. Ferrus, dans une tournée d’inspection, fit daguerréotyper l'épileptique qui assassina notre regretté confrère M. le docteur Geoffroy, et, si nous sommes bien informé, MM. Dagonet, A. Laurent et Billod se livrent avec zèle à des recherches physiognomiques.
La propriété dont jouissent les sels d’argent d'être décomposés par la lumière et l’introduction dans l'art photographique de glaces collodionnées permettant la reproduction instantanée et la fixation de l'image d'objets en mouvement, tels que les vagues de la mer, des chevaux au galop ou des régiments en marche, devaient consacrer un progrès important. L'ètude de la pathologie mentale y a trouvé son compte, et j'ai eu l’honneur de présenter, le 25 février 1863, à la Société médico-psychologique, au nom de MM. Combes et Cayré, un curieux album renfermant des types variés d'aliénés.
M. le docteur Combes, directeur médecin de l'asile de Rodez, a pour interne M. Cayré, photographe trés-exercé et artiste de talent. Ce dernier, dés le début de son stage parmi les fous, entrevit bientôt tout le parti qu'on pourrait tirer de la photographie, soit pour compléter l'observation de divers malades, soit pour étudier les caractères mobiles de leur physionomie. Il communiqua ses impressions à son chef de service : sa cause était gagnée d'avance. M. le préfet de l'Aveyron autorisa l'ouverture, au budget de l'Asile, d'un crédit spécial, et des appareils furent achetés.
Sans rappeler ici tout le parti que l'on peut tirer de la reproduction de certaines pièces anatomiques ou anatomopathologiques, et de lésions chirurgicales ou cutanées, je mentionnerai ce fait, à savoir que, grâce aux procédés céphalométriques de M. le docteur Antelme, on peut tout aussi bien mesurer un crâne sur une épreuve photographique obtenue à l'aide d'un bon instrument, que sur le sujet lui-même. Seulement, plusieurs épreuves sont nécessaires: il en faut une de face et l'autre de profil. L'angle facial sur une épreuve de profil est délimité mathématiquement.
Sans rien préjuger de ce qui pourra être tenté par la suite, il est évident que si la photographie est acceptée et pratiquée ultérieurement dans‘ les maisons d'aliénés, on prendra le portrait de chaque malade curable à son entrée dans l'asile, puis à diverses époques de son affection mentale. La marche des accidents intellectuels sera fixée alors d'une façon frappante, et l'examen comparatif des épreuves successives permettra d'apprécier utilement l’étendue des progrès, l'état stationnaire ou la décroissance des phénomènes morbides. Dans les cas de folie à double forme et d'aliénation intermittente ou rémittente, où les contrastes sont parfois si saisissants d'un jour à l'autre, les nuances de la physionomie seront rendues avec une irrécusable fidélité.
Si l'on parvenait à réunir de la sorte un certain nombre de types de malades appartenant à diverses provinces, à diverses nations, ne pourrait-on pas rencontrer là les éléments d'un travail plein d'intérêt? Si l'on voulait obtenir d'un confrère éloigné un avis motivé sur un malade, l'envoi d'une ou de plusieurs épreuves du sujet ne serait-il pas d'une grande ressource? Si le médecin qui prend possession d'un vaste service d’aliénés, trouvait dans les archives de l'asile les portraits à des phases différentes et datés des malades qui viennent de lui être confiés, ne serait-il pas affranchi de tâtonnements nombreux, et ne pourrait-il pas, en compulsant les notes laissées par son prédécesseur sur les registres de l'établissement, parvenir à reconstituer jusqu'à un certain point une observation clinique perdue sans cela pour la science?
Des difficultés d'exécution se présentent naturellement à l'esprit. Pour reproduire fidèlement et très-rapidement l'image d'un aliéné, il faut que la photographie soit presque une oeuvre artistique: le portrait ne doit être ni manièré, ni flatté, ni enlaidi. Véritable calque surprenant la nature, il faut nécessairement qu'il soit d'une ressemblance minutieuse, et qu'il reflète la pose et l'expression habituelle des traits du visage. Or, un photographe improvisé ne saurait prétendre à doter la science d’épreuves irréprochables, et le premier appareil venu ne pourrait également se prêter à des usages d'une finesse aussi compliquée. Il y aura donc de ce còté de sérieux obstacles à vaincre.
Une objection morale très-grave doit maintenant être posée. Lorsqu'une famille est frappée dans l'intelligence d’un de ses membres, elle subit d'ordinaire ce malheur à l'égal d'une honte, et elle cherche à enfouir ce secret douloureux dans un silence calculé. Ne peut-on pas craindre d’émouvoir singulièrement la susceptibilité des parents d’un malade en photographiant ainsi le délire dans toute sa laideur? Le médecin d'une maison d’aliénés est certainement très-soucieux de ses devoirs, et il n'oublie jamais que la discrétion est l’une des plus précieuses qualités de son ministère; mais, à de très rares exceptions près, il ne sera pas lui-même le photographe de son asile, et le personnel qui l'entoure n'aura-t-il pas l'imprudence de confier des épreuves à des personnes étrangères qui les auront avidement recherchées dans un but peu avouable? Que l’on se représente également le juste désespoir du malade guéri, qui, après sa réintégration dans la société, vient à reconnaître un jour, à la vitrine d'un papetier, le témoignage accablant des désordres maladifs de sa raison!
La photographie offre des dangers immenses, et pour n'en citer qu'un exemple, je rappellerai qu’il a suffi à un artiste habile mais malintentionné de posséder le portrait très-ressemblant d’une grande dame étrangère, pour qu’il ait pu, à l’aide d’une substitution perfide, livrer au commerce clandestin plus de mille épreuves représentant cette même dame dans un état complet de nudité2 !
Si la photographie se répand dans les asiles d'aliénés, et cette propagation désirable rendra des services réels à la science, il y aura lieu, à mon avis, d’en réglementer les applications comme il suit:
1° Défense pourrait être faite aux directeurs médecins des établissements de laisser photographier les malades placés par les familles et sans l'intervention de l'autorité. En cas de circonstances d’un intérêt exceptionnel, et seulement avec la permission écrite des parents, il serait tiré un nombre extrêmement limité d'épreuves; mais, en cas de guérison, les portraits seraient brûlés en présence de la famille;
2° Il serait enjoint aux médecins des asiles de renfermer dans des cartons spéciaux les épreuves photographiques, et ils ne pourraient, sans encourir une très-lourde responsabilité, les propager au dehors ou les céder au commerce.
3° Les clichés seraient toujours détruits.
M. Cayré, dont la compétence en photographie pathologique est si peu discutable, a exposé ses procédés dans un travail inédit qui doit faire l'objet de sa dissertation inaugurale. D'après lui, le problème à résoudre pour obtenir les portraits des aliénés en une épreuve nette, précise et d'une dimension convenable, consiste à opérer instantanément, à l'ombre, avec un appareil à court foyer et avec un collodion d'une sensibilité exquise. Or, personne n'ignore que les objectifs à court foyer déforment les images un peu étendues; que les collodions instantanés sont un leurre quand on opère à l'ombre, et que la pose en pleine lumière, surtout au soleil, donne des tons heurtés, sans relief et sans ressemblance. M. Cayré croit avoir vaincu toutes ces difficultés, et il espère le démontrer très-prochainement.
En somme, la photographie, appliquée à l'étude des maladies mentales, peut rendre à la science d’incontestables services, et nous ne pouvons qu'approuver et encourager - mais sous la réserve d'une réglementation sévère - toutes les études dirigées de ce côté.
1) La justice est parvenue, on le sait, à tirer un très-utile parti de la photographie et chaque jour, grâce à des portraits d’une ressemblance accablante, des recherches sont rendues faciles et des arrestations sont opérées. Nous nous sommes demandé à notre tour si la photographie ne pouvait pas rendre des services signalés à la médecine légale des aliénés. Eh bien, cela est évident, mais la question est encore trop neuve et nous n'avons pas encore pu en faire d'applications assez nombreuses, pour soumettre ici des résultats concluants. La question reste pour nous à l'étude et nous sommes loin de la perdre de vue. - Ces réserves une fois faites, nous ne pouvons qu’exposer aujourd'hui les principes généraux sur lesquels doit reposer ce procédé d'investigation d'un nouveau genre.
2.) M. Tardieu a eu récemment à s'occuper d’ une de ces affaires qui se multiplient d’une manière si déplorable, malgré l'activité de la répression; nous voulons parler de la fabrication et de la vente des photographies obscènes. Au milieu d'une masse vraiment innombrable d'épreuves lubriques, mises sous la main de la justice, il s'en trouvait toute une série qui représentait des femmes dont le visage seul était caché. L’exhibition que faisaient les modèles des parties les plus secrètes, avait paru compliquée d'un raffinement d’obscénité singulière. L'œil pénétrait si loin qu'il semblait que l'écartement des parties sexuelles fut maintenu à l'aide de quelque procédé artificiel. Cette circonstance, qui était de nature à aggraver la responsabilité du photographe, méritait d'être vérifiée et, sur l'invitation du magistrat instructeur, M. Tardieu dut procéder à l'examen des images saisies. Sa mission eut pour objet de constater si la disposition reproduite par la photographie pouvait être obtenue par une pose naturelle, ou si, au contraire, il y avait lieu de penser qu'un corps étranger eût été introduit pour maintenir béantes les parties offertes aux regards. Bien que la simple inspection eût sufli au médecin-expert pour résoudre cette question, M. Tardieu se rendit à Saint-Lazare où M. le docteur Costilhes voulut bien le faire assister à la visite d’un très-grand nombre de femmes placées exactement dans la position des modèles qui avaient servi au photographe, et il resta démontré à l'observateur que l'écurlement des parties sexuelles n'était nullement dû à l'introduction d'un corps étranger, mais qu’il résultait ou de la conformation naturelle ou de la pose prise.