Duchenne, G.-B. (Guillaume-Benjamin), 1806-1875.

Recherches icono-photographiques sur la morphologie et sur la structure intime du bulbe humain,
leur application à l'étude anatomo-pathologique de la paralysie glosso-labio-laryngée.




difficultés de la question anatomique que j'avais soulevée et dont je cherchais la solution. Loin de me décourager cependant, elles ont au contraire excité ma curiosité scientifique.

M'éclairant alors des recherches anatomiques antérieures que j'ai citées précédemment, et surtout du travail plus récent de M. L. Clarke, j'ai essayé, dans une communication que j'ai faite, en 1868, à la Société de Médecine de Paris, de montrer sur de belles figures photographiées d'après des coupes transversales du bulbe à différentes hauteurs, les noyaux des nerfs qui, dans la paralysie glosso-labio-laryngée, doivent être atteints successivement et progressivement.

« A l'aide des faits anatomiques représentés dans mes figures photographiées d'après nature, l'explication de la symptomatologie et de la marche de cette affection, devient, disais-je, alors des plus faciles. Ainsi l'on verra: 1° que la lésion morbide, en atteignant primitivement le noyau de l'hypoglosse en général, occasionne des troubles fonctionnels dans les articulations des linguales; 2° que bientôt cette lésion, s'étendant, dans le voisinage de l'hypoglosse, aux cellules terminales inférieures de la septième paire, rend difficile et plus tard impossible l'articulation des labiales; 3° que, dans une période plus avancée, la même lésion atteint le noyau du spinal accessoire qui est situé plus en arrière, et qu'alors l'expiration bronchique et la phonation s'affaiblissent progressivement, par la lésion d'innervation des muscles de Reissessen et de ceux du larynx; 4° on se rendra raison du nasonnement, de la paralysie fonctionnelle des muscles du voile du palais, et surtout de la paralysie des ptérygoïdiens, quand on verra des cellules originelles de la branche motrice de la cinquième paire descendre assez bas dans le bulbe, en dehors et en avant du tubercule gris de Rolando (8) ; 5° on comprendra que, la lésion s'étendant ordinairement de bas en haut, celle du noyau du nerf vague, dans une dernière période, doive occasionner les plus graves désordres dans les battements du cœur, et finalement l'arrêt du cœur; 6° enfin la lésion organique qui caractérise cette maladie devant, d'après la succession de ses symptômes, atteindre progressivement, de bas en haut, les noyaux des nerfs qui siègent dans la région supérieure du bulbe, et ne pouvant franchir celui du pneumogastrique sans donner la mort, on comprendra qu'elle ne trouble pas les fonctions des nerfs dont les cellules centrales sont situées au-dessus du noyau du nerf vague (les cellules supérieures du facial, de la branche motrice de la cinquième paire, celles de la portion sensible de la cinquième paire, du glosso-pharyngien, du nerf auditif et des nerfs moteurs de l'œil).

« Et quel bel enseignement va découler de l'ensemble de ces faits cliniques et anatomiques! Lorsque l'anatomie pathologique aura confirmé ces vues de l'esprit, nées de l'observation clinique, ne pourra-t-on pas, en effet, en conclure que les cellules originelles de la septième paire et de la branche motrice de la cinquième, qui siégent dans la partie inférieure du bulbe, animent, les premières, les muscles moteurs des lèvres, et les secondes, les muscles moteurs du voile du palais et les ptérygoïdiens? Ils montrent en outre, — ce qui n'est pas moins intéressant, au point de vue physiologique, — que les organes nerveux les noyaux de cellules nerveuses) dont le concours est nécessaire à l'exercice des fonctions de l'articulation des mots et de la phonation, se trouvent réunis dans un point circonscrit du bulbe, où ils siégent dans le voisinage les uns des autres, et qu'ils sont mis en connexion entre eux par les fibres qui en émanent et qui les entourent, comme l'a fort bien démontré M. L. Clarke dans son dernier mémoire. »

Ma première hypothèse sur la pathogénie de la paralysie glosso-labio-laryngée est aujourd'hui une réalité. Il est en effet parfaitement démontré par plusieurs autopsies assez récentes, dans lesquelles l'examen microscopique a porté sur de nombreuses sections transversales du bulbe et de la protubérance : que la lésion anatomique fondamentale de cette maladie siége dans les noyaux d'origine des nerfs bulbaires que j'avais annoncé, en 1860, devoir être primitivement atteints, en me fondant uniquement sur la symptomatologie.

Cette découverte est due aux recherches anatomo-pathologiques de MM. Charcot et Joffroy (9). Ils ont établi, en outre, que la lésion anatomique est une atrophie progressive des cellules.

En quoi consiste cette altération? « L'accumulation de pigment jaune, paraît-il, joue un grand rôle, dit M. Charcot; il semble qu'elle soit le fait initial; l'atrophie des prolongements cellulaires, celle du noyau, et enfin du nucléole, sont des phénomènes consécutifs. S'agit-il d'un processus à irritation lente, ou au contraire d'une atrophie progressive? On ne peut rien décider à cet égard d'après les seuls caractères anatomiques; mais il est permis d'affirmer, je crois, que ce processus morbide, quel qu'il soit, a affecté primitivement la cellule.... » (10).

Dans les observations rapportées par ces pathologistes, les paralysies symptomatiques des noyaux bulbaires lésés ont été successives et progressives, comme dans tous les cas que j'avais recueillis. (J'en compte aujourd'hui trente-cinq. Dans un seul cas la lésion de la moelle allongée a marché de haut en bas primitivement ou dans la première période, en atteignant la septième et la sixième paires.) Il ne peut être douteux que les cellules en rapport d'innervation avec chacun des muscles paralysés n'aient pas été atteintes successivement et proportionnellement au degré de la paralysie.

Mais à quelle hauteur ou dans quel point des noyaux étaient situées les cellules primitivement lésées? Ont-elles été atteintes de bas en haut et pour ainsi dire de proche en proche, comme me l'ont fait pressentir, en 1868, le processus morbide, la topographie et les rapports des noyaux du bulbe? La valeur de cette hypothèse ne pourra être définitivement jugée qu'après un plus grand nombre d'examens microscopiques faits à différentes périodes de cette maladie.

L'iconographie photographique pourra concourir à éclairer cette question. Les faits que l'on peut voir déjà dans plusieurs planches que j'extrais d'un album (en voie d'exécution) destiné à représenter, d'après nature, par la photographie, les lésions du bulbe, et surtout de ses éléments anatomiques, permettent d'espérer ce résultat.

Ainsi des figures photographiques représentant des sections du bulbe de sujets chez lesquels la paralysie glosso-labio-laryngée a parcouru toutes ses périodes, montrent que l'atrophie des cellules de l'hypoglosse est à son maximum vers le bec du calamus scriptorius, dans l'étendue d'un demi-centimètre environ, tandis qu'au niveau du noyau du nerf vague elle existe relativement à un moindre degré.

Ces figures, en outre, comparées à celles de sections faites dans les mêmes régions du bulbe envahies par la sclérose en plaques, font voir que le tissu ou la substance grise est altéré d'une manière essentiellement différente dans cette dernière maladie, c'est-à-dire que la lésion anatomique fondamentale est l'atrophie des cellules dans la paralysie glosso-labio-laryngée, tandis qu'elle est caractérisée principalement par la prolifération du tissu connectif dans la sclérose en plaques.

Je n'insisterai pas davantage pour faire ressortir l'utilité des figures iconographiques et photographiques sur la structure intime du système nerveux. Qu'il me suffise de dire, pour conclure :

1° Qu'elles montrent la structure dés éléments anatomiques et leurs rapports, tels qu'on les voit sous le champ du microscope, et que, par conséquent, leur exactitude ne saurait être contestée;

2° Que, pouvant, ainsi qu'on le verra dans mes albums, représenter, par des changements de mise au point, tous les plans d'une même préparation placée sous l'objectif, elles ont l'avantage de contrôler toute figure schématique qui est la réunion des différents plans apparaissant également dans les changements de la mise au point de l'objectif, figure schématique à la composition de laquelle l'imagination est exposée à prendre une trop grande part;

3° Qu'elles confirment les faits anatomiques qui rassortent des importantes découvertes de M. Stilling, et principalement des belles et récentes recherches de M. L. Clarke sur la structure intime du bulbe: qu'elles en sont enfin le complément;

4° Que les figures schématiques contenues dans les atlas de MM.Stilling et Clarke ne pouvaient être, malgré leur exactitude, que le squelette, pour ainsi dire, des images de leurs préparations, tandis que mes figures, photographiées directement, les montrent dans leur intégrité, dans toute leur beauté.




(8) Ce fait anatomique a été découvert par M. L. Clarke; M. Stilling n'avait pas vu descendre ce noyau au-dessous de l'auditif.

(9) J.-A. Charcot et Joffroy. Atrophie. Arch. de physiol., etc., 1870. XV.

(10) Charcot, Paralysie glosso-labio-laryngée. Arch. de physiol., etc., no. 2, mars et avril 1870, p. 255.





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