Iconographie photographique des centres nerveux.

ouvrage accompagné d'un atlas de soixante-dix photographies et de soixante-cinq schémas lithographiés

Luys, Jules Bernard, 1828-1897.

AVANT-PROPOS.

L'accueil favorable qui a été fait tant en France qu'à l'étranger à mes précédentes recherches sur le système nerveux, ne m'a pas laissé indifférent aux légitimes susceptibilités d'une portion notable du monde scientifique qui n'accepte pas sans garanties sérieuses les idées nouvelles qui se font jour dans son domaine.

A la suite de cette publication, en effet, j'ai vu des hommes d'un esprit éclairé, à la haute impartialité desquels je me plais à rendre hommage, se demander avec un air de doute si mes premiers dessins des centres nerveux qui ont servi à mes conceptions d'ensemble, reflétaient bien la réalité des choses que je prétendais avoir vues, ou si même je les avais vues avec mes seuls yeux, ou bien avec les entraînements d'imagination d'un auteur trop plein de son sujet.

Ces critiques que j'ai tout lieu de considérer comme sincères, répétées d'une façon plus ou moins discrète, m'ont inspiré le devoir d'être démonstratif à tout prix et de forcer les convictions en rendant manifestes et perceptibles, même aux yeux et aux entendements les plus réfractaires, les détails anatomiques dont j'avais pris la responsabilité d'affirmer l'existence. Je dus donc songer, pour ma justification, à avoir recours aux merveilleuses ressources que la photographie met à notre disposition. - Je résolus ainsi, en m'effaçant complètement et en substituant l'action de la lumière à ma propre personnalité, d'obtenir une reproduction aussi impersonnelle qu'authentique des principaux détails anatomiques qui avaient servi de types à mes précédentes descriptions, et de répondre ainsi victorieusement aux critiques qui ont accueilli mes premières publications.

Ce souhait formé, je me suis immédiatement mis à l'oeuvre; et sans me laisser arrêter par les insuccès du début, les inconnues sans cesse renaissantes qui accompagnent tout homme qui s'avance dans dos régions encore inexplorées, les doutes même des hommes compétents qui m'affirmaient par avance la stérilité de mes efforts, j'ai poursuivi ma marche d'une façon continue dans la direction du but précis que je m'étais préalablement assigné, et maintenant qu'aprés plusieurs années de persévérance je touche enfin au terme, je puis dire que, malgré tout, ma tache m'a été légère, car j'étais soutenu par une conviction profonde dans mon entreprise, par une ferme volonté de réussir, et par la satisfaction intime d'accomplir une oeuvre sérieuse et honorable pour notre belle science française si complaisamment dénigrée depuis quelque temps, et à laquelle il est si doux pour tout homme de bonne volonté d'apporter son contingent d'efforts et de labeur patriotiques.

C'est dans cet esprit que j'ai entrepris cette nouvelle publication.

Le plan général que j'ai suivi comme méthode d'exposition a été donc de faire reproduire par la photographie une série de coupes, soit horizontales, soit verticales, soit antéropostérieures des centres nerveux se suivant avec ordre et se confn'niant les unes par les autres.

Il me fallut d'abord créer des instruments de section suffisamment précis pour obtenir des coupes du cerveau tout entier, régulièrement distantes les unes des autres, soit dans le sens vertical, soit dans le sens horizontal, à un millimètre environ d'épaisseur les unes des autres.

Ceci fait, je m'aperçus alors que les coupes du cerveau pratiquées après le durcissement préalable dans la solution chromique avaient une coloration verdatre, une teinte neutre générale qui les rendaient tellement réfractaires aux actions photogéniques de la lumière que les épreuves obtenues ainsi étaient sans valeur démonstrative, et totalement déporvues de caractères artistiques.

Il me fallut à tout prix chercher le moyen d'enlever l'acide chromique interposé entre les éléments histologiques de mes coupes, et à restituer aux tranches cérébrales leur aspect, et leur coloration naturels, bien entendu en respectant l'intégrité complète du tissu et des éléments anatomiques.

Après bien des tâtonnements et bien des essais de toutes sortes, je parvins enfin à trouver une série de procédés chimiques qui me permirent d'arriver au but que je m étais proposé d'atteindre (1). Je pus donc obtenir des coupes minces du cerveau régulièrement sectionnées, d'un millimètre d'épaisseur environ, avec leurs teintes normales et. leurs contrastes réguliers de coloration.

Ces difficultés pratiques ayant été aplanies, maître de ma matière première, je pus avec confiance passer à la confection des clichés photographiques définitifs, et présenter à l'action photogénique des rayons solaires des modèles aussi irréprochables que possible. Les grandes coupes du cerveau ont été obtenues par ces procédés, elles ont été faites toutes par ja projection directe des rayons solaires sur leurs surfaces (2).

Les coupes qui représentent les régions centrales du système nerveux, vues à divers grandissements, ont été faites à l'aide d'appareils optiques spéciaux, destinés à concentrer et à tamiser la lumière au moment où elle passait à travers leur épaisseur.

Les grossissements obtenus varient de 8 à 10 diamètres jusqu'à 360 diamètres, mesurés directement.


Cette méthode nouvelle d'investigation m'a permis de confirmer la plupart des résultats que j'avais annoncés dans mes précédentes recherches, et de mettre en quelque sorte les éléments de ma justification à la portée de tous. C'est ainsi que j'ai pu confirmer :

Le mode de répartition des fibres blanches cérébrales en deux groupes, l'un servant à relier la périphérie corticale aux centres cérébraux (la couche optique et le corps striée l'autre ayant pour but de conjuguer d'un côté à l'autre les régions homologues de chaque hémisphère (fibres du corps calleux) ;

La structure de la couche optique et le dénombrement des divers noyaux indépendants dont elle se compose, et surtout donner une représentation authentique du centre médian (planche VII), la première qui existe, puisque ce noyau jusqu'à présent n'avait pas été décrit par les anatomistes (3);

Les principaux détails de la structure du corps strié, qui reçoit-d'une part, un ordre spécial de fibres spiroïdes venant des circonvolutions, - d'autre part, les fibres spinales antérieures de l'axe spinal, - et enfin le contingent des éléments cérébelleux qui viennent au dernier terme de leur long parcours, s'y distribuer définitivement;

La façon nouvelle dont j'avais envisagé le cervelet, comme appareil central d'émission de force nerveuse, et ses pédoncules, comme des conducteurs efférents ayant pour but de distribuer l'influx dont ils sont incessamment chargés dans les différents départements des régions supérieures de l'axe spinal ;

Et dire enfin, que la structure de l'encéphale et de l'axe spinal pouvait être ramenée à des lois fixes et précises, et que l'harmonie était une condition de leur organisation.


Il va sans dire que je ne suis pas sans avoir soumis ces synthèses anatomiques au contrôle de l'observation clinique qui, pour nous autres médecins, est le critérium irrécusable de toute doctrine anatomique ou physiologique nouvelle (4). Sur ce terrain encore j'ai eu la satisfaction de voir que la plupart des faits que j'avais avancés ont été confirmés par différents auteurs, tant en France qu'à l'étranger, et que mes idées, en faisant lentement leur chemin, ont permis d'apporter une précision plus grande, soit dans l'appréciation du siège des lésions, soit dans le diagnostic si souvent impénétrable des maladies de l'encéphale.


En résumé, ce nouveau travail a pour but de donner une description impersonnelle et authentique de l'organisation des centres nerveux, de rendre, par les procédés d'ampliation successive employés, évidente pour tous la connaissance topographique de ces mêmes régions jusqu'ici à peine explorées et imparfaitement connues; et, en mettant loyalement dans les mains de chacun les détails analytiques qui ont servi à l'édification de nos synthèses, de faire un appel direct au jugement imparlial de tous ceux qui veulent loyalement voir et loyalement entendre.

Enfin, cette méthode précise d'investigation qui nous permet de nous avancer aux limites extrêmes actuellement connues du monde histologique, et de rapporter des représentations considérablement amplifiées et authentiques des différentes régions parcourues, offre, en généralisant son emploi aux recherches de l'anatomie normale et de l'anatomie pathologique, des ressources infinies dont on ne peut actuellement que pressentir la portée et les résultats définitifs.

Néanmoins, quelque importants que soient les résultats obtenus, et malgré les nombreux travaux dont l'étude du système nerveux s'est enrichie dans ces derniers temps, il convient de ne pas oublier que nous ne sommes qu'aux débuts du processus scientifique qui doit nous mener à la découverte de nouveaux détails do structure à peine entrevus jusqu'ici.

Si nous pouvons assurément être satisfaits, pour le temps où nous vivons, d'avoir des représentations photographiques de certaines régions centrales à 250 et 300 diamètres au minimum, ce n'est qu'une première étape sur la route du progrès, et un avant-goût de ce que l'avenir nous réserve.

Il est permis d'espérer en effet que, avec un outillage plus perfectionné, des objectifs plus puissants, on pourra arriver à révéler victorieusement les détails intimes d'organisation soit des fibres, soit des cellules nerveuses, qui, comme autant de nébuleuses encore irrésolubles, ne sont connues actuellement qu'au point de vue de leur emplacement topographique et de leur configuration générale.

Il reste encore à les surprendre dans les mystérieux détails de leur structure intime et de leurs rapports avec les éléments hîstologiques ambiants, à apprécier leurs caractères spécifiques, à les distinguer histologiquement les unes des autres, et enfin à reconnaître les différentes métamorphoses qu'elles sont susceptibles de présenter, suivant qu'on les considère aux différentes phases de leur évolution normale, aux différents échelons de l'échelle zoologique, et dans les différentes modalités pathologiques qu'elles sont susceptibles de revêtir.


On voit ainsi combien le domaine de l'exploration histologique des centres nerveux est fécond, et combien ses horizons indéfinis renferment encore de problèmes à résoudre pour l'activité infatigable des travailleurs de l'avenir. - Il y a encore bien des faits nouveaux à y recueillir et de riches moissons à y faire, car en ces matières si ardues et si délicates, c'est encore plus que jamais le cas de méditer ces prophétiques paroles de Serres : " On dissèque le cerveau depuis Galien et il n'y a pas un anatomiste qui n'ait " laissé quelque chose à faire à ses successeurs. "



(1) Le manuel opératoire de ces procédés de décoloration des tissus a été consigné dans le Journal de physiologie de M. Robin. — 1872, p. 265.
(2) Les tirages de mes clichés ont été fails par M. Vallette, artiste photographe, auquel je tiens à adresser ici mes remerciments pour le soin avec lequel il s'est chargé de ces opérations délicates.
(3) J'ai donné ailleurs les raisons qui me font considérer ce centre médian comme le point de passage des impressions sensitives. Je puis ajouter que j'ai dans ma collection un cas de lésion isolée du centre médian avec lésion concomitante de la sensibilité du côté opposé.
(4) Voir Recherches sur le système nerveux, pages 487 et suivantes.




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